Resumen
En France, alors que les morgues hospitalières sont critiquées dès le xixe siècle, les décès vont se concentrer dans les établissements de santé. Plus encore, un défunt sur deux passe aujourd’hui dans les chambres mortuaires des hôpitaux scientifiques. Expliquer cet apparent paradoxe exige de comprendre le travail de légitimation réalisé par des médecins et administrateurs d’hôpitaux pour conserver un contrôle sur le corps des malades tout en reconnaissant aux familles un droit de participation pour les rituels funéraires. Il devient nécessaire de rappeler les résistances qui ont fait de ces lieux un problème public local, puis national, jusqu’à ce qu’ils soient transformés. Dans cet article, nous défendons l’idée qu’un conflit de modernisation s’est opéré, depuis le xixe siècle, dans les morgues des hôpitaux pour décider du traitement appliqué au corps mort. De manière inattendue, ce conflit a débouché sur la création de chambres mortuaires dans lesquelles les morts sont, de manière potentiellement contradictoire, traités comme un matériel biologique et technique, placés sous surveillance médicale, comme des personnes défuntes dont il convient de respecter l’intégrité et la subjectivité historique. L’étude de ce conflit de modernisation permet alors de comprendre pourquoi ces services font aujourd’hui l’objet de tensions sociales, dès lors que l’un de ces deux traitements est abandonné, comme cela a pu être le cas au début de l’épidémie de Covid-19 en France.
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